Base sous Marine

Base sous Marine

Installation
2012
Bordeaux

A la fin des années 80, je rentre de voyages successifs en Inde, où par timidité, j’ai du mal à photographier. Au moins du noir et blanc, et avec pudeur, car les couleurs de la Planète Chaude m’éblouissent et me paralysent… Fascinée dans les bazars par les petits cônes de poudres colorées servant au maquillage rituel des femmes, j’en rapporte dans mes valises. C’est alors qu’au retour d’un voyage, je découvre dans une vieille droguerie de Bordeaux un trésor de pigments de couleur dans de grandes boites cylindriques. Au bout de cette longue rue, se trouve la Base sous Marine, que déjà j’avais arpentée avec ma chambre Arca Swiss 4X5 inches, cherchant les traces de ma vie avant ma vie, quand mon père fut pris en otage pendant la guerre et prisonnier pendant 5 ans avant ma naissance.
Des bassins glauques où s’enfonçaient doucement les derniers vestiges de la Kriegsmarine aux terrasses lumineuses, ce monument d’architecture inspiré du Bauhaus devint le lieu des métamorphoses.

Je projettais les pigments avec une sulfateuse ou bien les déposais à l’éponge sur les murs de béton, créant ainsi de grandes formes géométriques et monochromes qui se reflétaient dans l’eau des bassins. Sur les terrasses, avec l’aide de mon assistant canadien Marcel Saint Vanne qui n’avait peur de rien, nous sommes montés par des échelles verticales et ce sont de grandes perspectives que j’ai transformées en « cadrans solaires ».
Pour la première fois, je photographiais ces installations, dans un acte d’exorcisme rejettant les pensées lourdes et les questions sans réponse après la disparition de mon père, 18 ans après son retour des camps…
Pour l’exposition à la Galerie Charles Sablon à Paris, j’appelai la série  « Projet pour un Palais », transformant le site sinistre en un temple nouveau, où tel le Stalker de Tarkovsky, je pouvais, après avoir jetté le foulard blanc pacifique, laver l’inconscient de mes souvenirs.

« Anne Garde n’utilise jamais de filtre coloré. Elle n’intervient jamais sur la pellicule. C’est avant la photographie qu’elle agit, q’elle modifie le monde. Elle ne laisse pas exister les choses telles qu’elles lui aparaîssent d’abord. Elle les transforme avant de les photographier. Elle compose sa scène. Elle l’agence, la construit. Elle crée des sites. Dans la Base sous marine de Bordeaux elle place des pigments (des couleur intenses) pour nous aider à mieux percevoir la matière du béton, celle de l’eau, celle des fers rouillés ou de la terre ; et, également à mieux percevoir les mouvements de la lumière sur les choses. Lorsqu’elle étale ses pigments sur le béton de la Base sous marine de Bordeaux, elle évoque discrètement les complicités qui ont souvent existé entre la peinture et les lieux clos ou à demi clos : les complicités mêmes que nous rencontrons quand nous regardons, dans les grottes de Lascaux ou d’Altamira, les premières peintures de l’humanité ou quand nous éclairons les fresques anciennes de la Maison Dorée, enfouie sous un jardin Romain ».
Gilbert Lascault, critique d’art

Retour